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Histoire Aïkido Portugal

Daniel Laurent en 1965

Daniel Laurent en 1965

Une expérience enrichissante

(L’histoire de l’introduction de l’Aïkido au Portugal)

14Octobre 2005. Je suis en visite au Brésil, pour assurer des échanges avec des amis, des confrères, de la psychosomatique orientale et ses rapports avec la médecine occidentale et chinoise. Alors, imaginez qu’elle fut ma surprise lorsque ce soir on me demande si je suis « ce » Daniel Laurent dont il est question sur des sites internet en portugais, concernant l’introduction de l’aïkido au Portugal, dans les années soixante du siècle passé. Cela me plonge presque quarante années en arrière… Je n’ai jamais évoqué cet épisode de ma vie, sinon à mes enfants et à quelques intimes, mais la magie d’internet est cruelle à qui aime la discrétion. Je me connecte maintenant, sur google Brésil. Effectivement dès que j’y ai introduit mon nom, le moteur de recherche m’a signalé quelques documents me concernant et me référençant à propos de l’aïkido. Le premier est une entrevue du professeur Leopoldo Ferreira : http://www.cao.pt/surya/pe
Un second entend donner une brève histoire de l’aïkido au Portugal : http://ubu.no.sapo.pt/Historia.htm
Un troisième est un entretien avec le professeur Luis Antunes : http://www.cao.pt/surya/pe
Un quatrième est celui du professeur Georges Stobbaerts lui-même : http://www.cao.pt/surya/pe
Je n’explore pas plus loin. Je ferme les yeux, je repense à ce passé, je me prépare à quitter internet, mais je me ravise… Quelques omissions dans l’histoire, des erreurs du genre “ il était belge ” … (Je n’ai rien contre les belges, mais simplement je n’ai jamais été belge), tout cela m’inquiète sur le crédit à apporter à ce que racontent les uns et les autres. Je lis même des jugements peu flatteurs: “ Daniel Laurent n’avait pas de technique, il était ceinture jaune ou orange, c’est pourquoi le véritable pionnier fut monsieur l’ingénieur Carlos Manuel Pereira « … Cela fait beaucoup et je décide de donner ma version des faits.

L’ORIGINE

J’ai vécu mon enfance à Casablanca au Maroc. C’est là que j’ai connu Georges Stobbaerts. Il a six ans de plus que moi, l’âge de mon frère aîné. Aujourd’hui cela ne fait guère de différence, mais lorsque l’on est un enfant ou un adolescent, cela paraît considérable. Il enseignait l’aïkido dans un dojo en ville, et plus tard, en même temps, dans l’école où j’ai effectué ma scolarité jusqu’en classe de troisième. A cette époque où je pratique l’aïkido avec Georges, celui-ci enrichit sa pratique par le hatha yoga, le sabre et le kendo. Georges Stobbaerts est un personnage fascinant, en tout cas qui fascine l’adolescent que je suis alors. Pour comprendre cela, je ne rapporterai qu’une anecdote dont je suis désolé de ne pouvoir fixer la date avec précision. Ce n’est pas important car cela est vérifiable, et si je tiens à la raconter c’est tout simplement pour que l’on comprenne mieux pourquoi plus tard je suis allé le chercher au Maroc, pour le faire intervenir au Portugal. Georges s’entraînait au sabre et au kendo, seul, souvent avec un manche à balai et devant un grand miroir qui se trouvait dans le dojo. Comme la plupart des gens en début de carrière, il n’était guère fortuné, mais il désirait se rendre une fois de plus au Japon. Il profita de l’organisation par le Japon des premiers championnats du monde de la spécialité pour devenir, grâce à ses relations, le représentant du Maroc à ces jeux. Et que croyez-vous qu’il se passa ? A ce qui fut raconté à l’époque, il remporta la compétition avec toujours la même attaque. Je ne sais si cela est exact (certains prétendaient même qu’il fut médaillé d’or), mais je me souviens en tout cas que des japonais vinrent ensuite pour filmer ses entraînements. Mais il fut impossible de leur expliquer le balai et le miroir ! Que la médaille fut réelle ou pas, la visite des caméras japonaises est exacte puisque j’y étais, et cette visite témoignait d’un intérêt pour l’extraordinaire maîtrise du qi que possédait Georges. C’est cette maîtrise qui était fascinante. Bref, à l’époque où je fréquentais assidûment le dojo, il n’y avait sur le tatami que deux hakamas noires (Georges, le professeur, première dan, et un vieil ami de sa famille, belge comme lui, car si Georges est aujourd’hui portugais, à l’époque il était encore belge).

DU MAROC AU PORTUGAL

En 1966 j’organise le rapatriement de mes parents vers Nantes (France). Je m’inscris à l’université, mais je ne m’habitue pas à la vie française. C’est alors que mon frère aîné me propose de le remplacer à la radio nationale portugaise (Emissora Nacionale) comme speaker et rédacteur de langue française, particulièrement chargé de la revue de presse quotidienne. J’accepte. Je vais sur mes vingt et un ans. Mais je suis passionné d’arts martiaux. Je suis véritablement imprégné de l’esprit de l’aïkido que transmet Georges Stobbaerts. Je cherche donc sur Lisbonne un dojo d’aïkido et selon l’esprit de la tradition. Plus tard je découvrirai que lorsque l’on a eu un professeur comme Georges, il est difficile de s’adapter à une autre approche. C’est du moins mon point de vue et c’est ce qui explique que plus tard, à mon retour en France, j’abandonnerai la pratique de l’aïkido. Mais en 1966 je suis loin d’en être là ! Ma recherche du dojo s’achève sur un constat simple : l’aïkido n’est pas encore arrivé au Portugal ! En outre, les arts considérés comme martiaux (karaté, jiu-jitsu) dépendent du ministère de la guerre, et ceux considérés comme simplement sportifs (judo) du ministère des sports. Cependant il existe un judo martial qui est intégré au ministère de la guerre. Je fais contre mauvaise fortune bon coeur, et je m’inscris en karaté et en judo martial. Les réflexes précédemment acquis sont installés, et tant ma manière de chuter que de me déplacer ou d’utiliser le qi de l’adversaire me trahissent, et le directeur de l’Académia de Budo, le docteur Pires Martins, s’étonne, m’interroge, s’intéresse à mes quatre petites années d’aïkido, et me propose d’initialiser un cours pour débutants. Dans un premier temps, je refuse. Il insiste. Il me dit : «Tu dois te lancer, le mouvement se prouve en marchant». Les autres enseignants de judo martial et de karaté s’y mettent aussi et m’encouragent. Je pose alors des conditions, dans le respect de l’esprit de la tradition qui m’a été transmis : – Je rencontrerai Georges Stobbaerts à Casablanca pour lui demander l’autorisation; – Il faudra qu’il accepte et qu’il veuille bien venir au moins une fois par an pour corriger mes manques et l’imperfection de mon enseignement; – Il faudra aussi que l’on finance mon voyage. Après réflexion le docteur Pires Martins accepte. Contrairement à ce que j’ai lu sur Internet dans le texte de Georges, ce n’est nullement par courrier que cela se fit, même s’il y eut forcément échanges de lettres. Je me suis bien rendu à Casablanca, j’ai bien discuté de l’affaire avec Georges. Je me souviens de ses paroles : – Me concernant : «Le qi est dans le mouvement». Il me conseillait même de pratiquer aussi le hatha-yoga. – Pour les stages éventuels : «Je veux d’abord rencontrer les responsables de l’Académie de Budo». Il me donna l’autorisation d’enseigner, et à ma grande surprise, il me remit et m’offrit mon Hakama. Le début de ma mission est accompli. Je reviens à Lisbonne, je négocie son arrivée pour une conférence et une démonstration, nous échangeons encore des courriers. Sa démonstration devant un public comprenant un ministre et la télévision ne passe pas inaperçue. Je ne demande pas de copie du film pour moi et je me refuse à être photographié car ce serait inconvenant de me hisser au niveau du professeur… Mon seul souvenir concret est le papier de l’Académie de Budo me nommant alors ceinture noire premier dan d’aïkido, et que j’ai conservé. Aujourd’hui je lis sous la plume de Georges que je n’étais qu’un tout petit débutant. je lis aussi : “Daniel Laurent n’avait pas de technique”. Ai-je un jour prétendu le contraire? Mais pourquoi cette pointe de mépris? En quoi le fait d’avoir, borgne sans technique, été roi au royaume des aveugles de l’époque, et de leur avoir donné le goût de voir et de pratiquer un meilleur aïkido, serait-il méprisable? En quoi d’avoir initié le processus de l’aïkido au Portugal ternirait la légende personnelle de Goerges Stobbaerts au Portugal? J’ai toujours respecté Georges. Je me suis toujours considéré pour l’aïkido au Portugal comme un simple «chargé de mission». Et, à voir comment l’aïkido s’est développé dans ce pays, je crois que j’ai bien rempli ma mission. Mais revenons à cette époque… Je suis devenu «ceinture noire»… Ça me surprend, mais je dois assurer ma mission. L’après-midi, lorsque mes émissions sont enregistrées, je m’entraîne avec des ceintures noires de judo et de karaté qui viennent pratiquer avec moi dans un esprit militant. Le soir j’enseigne. Pour cela l’Académie de Budo me rémunère. J’organise aussi le premier stage de Georges. Il a voulu que ce soit un stage «international», amenant avec lui des pratiquants du Maroc (français et marocains) et d’Espagne. Malheureusement je ne peux être présent à ce stage qu’en pointillé, à cause de mes obligations professionnelles. Le temps passe, passent aussi les entraînements, et fin 67 je quitte Lisbonne pour reprendre mes études universitaires en France. Je coupe avec mon passé portugais.

LE SILENCE

Georges Stabbaerts ne me donne plus aucune nouvelle bien que je lui écrive régulièrement à son dojo de Casablanca. En fait, il me l’affirmera plus tard, il ne reçoit aucun courrier bien qu’il ne quitte le Maroc pour s’installer au Portugal qu’en 1971 (à ce que j’ai lu récemment sur son site internet). Après la révolution des oeillets, il prend même la nationalité portugaise. De mon côté, je cherche dans la région où je me suis installé un dojo où pratiquer. Mais je l’ai dit, quand on a eu un professeur comme Georges, l’adaptation est difficile. J’abandonne alors l’aïkido et je travaille le qi par l’apprentissage puis la pratique des aiguilles d’acupuncture.

LES RETROUVAILLES

En 1979, plus de dix années après cet épisode portugais, je reçois par l’intermédiaire de mon éditeur (Guy Trédaniel) une lettre de Georges Stobbaerts. Il m’a reconnu sur l’atlas d’acupuncture que j’ai publié en 1978. Il a appris aussi que j’enseigne la psychosomatique orientale. Il pratique déjà quant à lui une acupuncture symptomatique donc médicale bien que n’étant pas médecin, et souhaite aller plus loin. Il désire me rencontrer. Nous échangeons un courrier, puis je l’appelle au téléphone et nous convenons d’une rencontre : il viendra me voir à Lorient, en Bretagne, où je réside. Les retrouvailles sont chaleureuses. Il me voit pratiquer et me fait ce compliment qui me touche : « Tu prétends avoir cessé de pratiquer l’aïkido? Ton maniement du qi dans l’art d’utiliser les aiguilles témoigne du contraire ». Cela me paraît un peu contradictoire avec ce que j’ai lu depuis sur ma pratique de l’aïkido, mais passons… J’accepte d’initier Georges à psychosomatique orientale mais il lui est impossible de venir tous les mois du Portugal en Bretagne, et la transmission d’un art, quel qu’il soit, ne peut se faire en quelques heures, même si l’on est doué. Son expérience du manche à balai et du miroir en est un exemple. Il nous faut donc trouver une solution.

LE RETOUR AU PORTUGAL

Juste retour des choses, Georges organise pour moi une conférence à Lisbonne. Il me fait rencontrer des gens intéressés par l’apprentissage de la psychosomatique orientale, médecins et non médecins. C’est au cours de cette première conférence que je rencontre un italo-portugais. Il sera d’abord mon élève, ensuite organisateur et gestionnaire des cours, puis dauphin dans l’enseignement et praticien hors pair. Il s’agit de mon ami le docteur Riccardo Salvatore sans qui rien de durable ne se serait réalisé. Mais c’est grâce à Georges Stobbaerts qu’au début, je viens régulièrement à Lisbonne. Il me loge, je donne mes cours aux étudiants dans son dojo de Cascais et je lui donne, à lui, un enseignement parallèle privé. Sur mes conseils, il se rend ensuite au Canada effectuer un stage auprès du professeur Leung Kok Yuen. Ensuite, chacun a continué son chemin. J’ai poursuivi au Portugal avec Riccardo. J’ai plusieurs fois revu Georges. J’ai admiré son oeuvre à Sintra. Lorsqu’il m’a fait visiter son dojo l’année de l’Exposition Universelle, nous avions même convenu d’écrire nos souvenirs. Peut-être ces quelques lignes en seront-elles les prémices? En tout cas je ne le remercierai jamais assez de m’avoir enseigné dans mes jeunes années, l’art de la conduite du qi. Grâce à lui, l’esprit de l’aïkido n’a jamais cessé de m’habiter, mais les pratiques de santé étaient davantage mon instrument pour la gestion du qi. Et aujourd’hui avec le recul, même si l’on pense que je n’avais aucune technique et un niveau médiocre, je suis fier d’avoir été le spermatozoïde borgne et initiateur de l’arrivée de l’aïkido au Portugal. Je ne pensais pas qu’un jour, j’aurais à évoquer cela. Mais quant à dire les choses, il convient de tout dire, et cela ne m’empêche pas de rester un homme simple et humble, comme il a aussi été écrit à mon sujet.

EPILOGUE

Décembre 2005. Comme je dois me rendre à Lisbonne, je me dis que c’est l’occasion de contacter et revoir Georges Stobbaerts. Des amis me communiquent ses téléphones. Trois jours durant, et plusieurs fois, j’appelle : le “ maître ” (comme ils le nomment) est chaque fois occupé. Je réussis à joindre son épouse qui me dit le prévenir et qu’il me rappellera … sans résultat ! J’essaye une dernière fois. A l’annonce de mon nom, le ton désormais se ferme. Je me résigne à comprendre que Georges semble ne pas souhaiter me parler. Cela a-t-il à voir avec ce qui a été écrit à mon propos sur internet ? Est-ce parce que Georges Stobbaerts pratique désormais l’acupuncture et qu’il n’aurait pas donné toutes ses sources formatives ? Je l’ignore. Pour autant, je ne retire rien de tout le bien que j’ai écrit à son sujet.

UNE GRANDE LOI DE LA SANTE

De tout cela je retiens le message positif suivant : pour qui y est attentif, la vie est l’occasion de nous rappeler les grandes lois de la santé. Ainsi la non communication est dommageable, comme l’est la transformation des faits au profit de l’ego. Les conséquences en sont les conflits et la maladie. Il est à souhaiter que mon ami de presque cinquante ans, Georges Stobbaerts, spécialiste incontesté du qi quand il s’agit de l’aïkido, ne l’ait pas oublié. Il en va de sa santé que je lui souhaite florissante.